Histoire détaillée : le jardin des Dauphins

L'entrée du jardin, début XXe siècle
© Photographie d’Emile Duchemin (SDAP), XXe s., BMG

Les «Folies Dolle»

L’histoire du jardin des Dauphins débute en 1785 lorsque Jean-Baptiste Dolle, riche négociant Grenoblois originaire de l’Oisans, acquiert cet emplacement de Joseph Prunelle de Lière pour la somme de 2 400 livres. Cette partie de la Bastille n’est alors qu’une vaste étendue de rocher sur lequel croissent arbustes et broussailles. De 1787 à 1789, Jean-Baptiste Dolle fait aménager à grand frais le site pour y établir de somptueux jardins ainsi qu’un château.

Les plans de ce jardin sont établis par Louis Leseurre, ingénieur-géographe du roi. L’excavation de 4 200 m3 de roche, la construction d’imposants murs de soutènement et l’apport de 2 000 tombereaux de terre permettent l’aménagement d’un jardin en six terrasses successives reliées entre elles par de multiples rampes et escaliers. Le site est planté de vignes, d’arbres fruitiers en espalier, de pins, de sapins, de tonnelles de charmille, de corbeilles de roses, de massifs de fleurs odorantes et de nombreuses plantes grimpantes. Le jardin est également orné de nombreux objets d’art tels que des dragons fantastiques, des statues, des urnes, d’élégants vases montés sur des socles de pierre blanche, un pavillon chinois, des balustrades, des sièges capitonnés, des bancs et des tables en marbre. À cela s’ajoutent des éléments de distraction tels que les jeux de boules et les balançoires. En l’absence de source sur le site, l’eau est pompée dans l’Isère afin d’irriguer les jardins, d’alimenter le château et d’approvisionner les fontaines, les jets d’eau ainsi que la grotte artificielle. Ce dispositif, trop coûteux, sera remplacé plus tard par trois citernes creusées dans la roche d’un volume total de 111 m3 permettant de récolter les eaux de pluie.

Près du rempart de la ville qu’il fait consolider (enceinte Lesdiguières construite à la fin du XVIe siècle), Jean-Baptiste Dolle aménage un château appelé «maison romaine». Les Grenoblois l’appellent alors avec ironie «château de la folie» afin d’illustrer les dépenses somptuaires engagées pour son édification.

La maison est notamment dotée d’une grande serre chauffée qui permet la culture de plantes venues d’Orient et des Antilles. Celle-ci autorise l’hivernage des orangers, citronniers, cédrats, lauriers roses, palmiers, bananiers, dragonniers et myrtes en pots destinés à agrémenter les jardins pendant la saison chaude. On y trouve également des animaux parmi lesquels un singe.

Le jardin et le château sont aussi le théâtre de fêtes somptueuses. La description de l’une d’elle donnée en l’honneur du Parlement dauphinois revenu d’exil montre l’ampleur des banquets qui y sont organisés : 25 000 personnes dans les jardins et sur les quais, 3 000 lampions, 300 photophores colorés, spectacles et feux d’artifice.

Pendant la période révolutionnaire et suite à l’avènement de la Terreur, Dolle lègue de son propre chef ses biens à la Nation. En dépit de ce geste, son nom est tout de même porté sur la liste des personnes suspectées. J.B. Dolle s’exile alors à Saint Domingue et perd la totalité de ses biens. Le bilan financier qu’il a effectué avant son départ nous permet de savoir que plus de 62 366 livres ont été investies pour l’aménagement de son château.

La ruine des jardins et leur reconstruction

Au début du XIXe siècle, Charles Renauldon (ancien Maire de Grenoble) achète une partie du jardin pour y installer une carrière de pierres. L’usage industriel du site se perpétue dans la première moitié du XIXe avec l’édification d’une cartoucherie et de nouvelles fortifications sous la direction du Général Haxo. Il ne reste alors plus rien des ornements du Jardin Dolle.

Le 12 août 1901, à la suite d’échanges fonciers, la Municipalité devient propriétaire d’une partie des arsenaux militaires de la Bastille comprenant l’emplacement des anciens jardins Dolle. En vue de faire de Grenoble une ville séduisante et agréable pour les touristes et les Grenoblois, le Syndicat d’Initiative de Grenoble et du Dauphiné lance en 1908 le réaménagement du jardin Dolle en jardin touristique. Les travaux sont engagés grâce au soutien financier des représentants de l’industrie hôtelière de Grenoble. Le site prend alors le nom de «jardin des Dauphins» en commémoration du nom de la province. Monsieur Ginet, paysagiste à Gières, conduit la conception de ce nouveau lieu de plaisance où sont plantés arbres, arbustes, grimpantes, vivaces et massifs de fleurs.

Exposé plein sud et situé sur des rochers qui emmagasinent la chaleur solaire, le jardin des Dauphins présente la particularité d’abriter un microclimat méridional. Des espèces méditerranéennes s’y épanouissent spontanément tel que le chêne vert. Cette situation permet au paysagiste de concevoir un jardin de plantes exotiques composé d’agaves, d’aloès, de cactus, de dragonniers, d’oliviers, de mimosas, de camélias, et de palmiers. L’avant-dernière terrasse située à l’ombre des anciens remparts est conçue, quant à elle, comme une forêt de conifères (cèdres, pins, sapins, etc.).

Pour faciliter l’irrigation, une grotte est creusée au niveau haut de la rampe qui mène à la «terrasse Dolle». Des ponts, des balustrades, des bancs et un kiosque de style rustique («rocaille») sont édifiés. La tour et son escalier en colimaçon sont restaurés. Les anciens ouvrages militaires deviennent à l’occasion de ce réaménagement des éléments ornementaux à part entière, désignés dans l’art des jardins sous le terme de «fabriques». Le chemin de ronde devient ainsi une promenade-belvédère permettant d’embrasser du regard la ville et les montagnes. De nombreux aménagements sont également engagés pour la distraction des visiteurs : tennis, terrains de boules et de croquet, jeux de quilles, etc.

Le jardin est aussi un lieu de fête où se jouent des spectacles comme l’attestent les photos d’époque. Le chalet de la «terrasse Dolle», construit lors de ces travaux, propose aux touristes boissons glacées et thés anglais. Non loin de là, la table d’orientation érigée par le Touring Club de France permet encore aujourd’hui de découvrir le panorama exceptionnel. Les photos anciennes montrent clairement l’ancien porche d’entrée, l’annexe du Syndicat d’Initiative et le guichet auprès duquel les visiteurs s’acquittaient de leur droit d’entrer.

La Première, puis la Seconde Guerre mondiale, marquent le lent déclin de ce jardin de plaisir. En 1939, le jardin est décrit dans un état complet d’abandon. Au lendemain de la guerre, la municipalité reprend la gestion du jardin. Le site est entièrement réaménagé en 1962 afin de le rendre à nouveau accessible et cohérent par rapport à l’évolution des attentes du public. Un réseau d’irrigation automatique, un bassin, deux aires de jeux, un kiosque, de nouvelles rocailles sont alors créés. Les allées et les ponts sont remis en état et les massifs replantés.

Aujourd’hui encore d’importants travaux d’investissement et de sécurisation sont engagés par la Ville pour maintenir ce site ouvert au public. Le site présente une importance historique ainsi qu’une agréable transition entre espaces urbains et sentiers plus sauvages de la Bastille. Le jardin des Dauphins est aussi reconnu comme un site de grand intérêt écologique. Il y règne en effet un microclimat méridional. Des espèces méditerranéennes spontanées comme le chêne vert s’y développent. Le jardin des Dauphins abrite les stations écologiques méditerranéennes les plus septentrionales de France. Cette particularité climatique permet d’agrémenter ce jardin de plantes exotiques qui ne pourraient vivre en extérieur ailleurs dans la ville.

Période historique

Hors période

Crédit (auteur)

Services des Espaces verts, Ville de Grenoble

Diaporama

L'entrée du jardin, début XXe siècle
Les cours de tennis, la tour des fortifications et le chalet, début XXe siècle
Le chalet de la terrasse Dolle, début XXe siècle
La promenade-belvédère, début XXe siècle