Un pont, une enceinte, un évêque (43 avant J.C. - VIIIe siècle)

Monnaie à l'effigie de Dioclétien (284-305 ap. J.C.).
© 295-296 ap. J.C., Médailler, BMG.

1ère période : - 43 avant J.-C. – début VIIIe siècle

De Cularo à Gratianopolis : la bourgade des origines

La région grenobloise est habitée par l’homme depuis des temps très anciens. Plusieurs sites archéologiques de l’agglomération témoignent de cette occupation, tels que la grotte de Balme de Gros à Fontaine et La Grande Rivoire à Sassenage (Néolithique ancien) ou la grotte des Sarrasins à Seyssinet-Pariset (âge du bronze ancien). Mais ce n’est qu’au Ier siècle avant Jésus-Christ qu’un document atteste de l’existence d’un premier bourg à l’origine de la ville actuelle de Grenoble. Dans trois lettres envoyées à Cicéron en 43 avant J.-C., Lucius Munatius Plancus, gouverneur de la Gaule transalpine et fondateur de la ville de Lyon, évoque sa traversée de la rivière Isère, avec la construction d’un pont en une seule journée, et la présence sur la rive gauche d’un bourg, dénommé Cularo, situé en territoire allobroge.

Cularo, dont le nom pourrait signifier « champ de courges », a vraisemblablement été fondé par des Celtes, les Allobroges, vers la fin du IIIe siècle avant J.-C. La localisation de ce bourg, au confluent des vallées de l’Isère et du Drac, n’est pas due au hasard. Provenant du sud, le Drac a repoussé l’Isère au pied de la Bastille, la contraignant à garder en permanence son lit et empêchant ses eaux de divaguer comme c’est le cas en amont et en aval. La relative étroitesse du lit et la possibilité de le franchir à gué en période de basses eaux vont donner toute son importance à Cularo. Dès l’époque gallo-romaine, la présence d’un pont de bois, maintes fois reconstruit, en fait un point de passage obligé pour les marchands et les voyageurs. Site de pont, Cularo sera le seul lieu aisé de franchissement de la vallée de l’Isère jusqu’à la construction du pont de Romans au IXe siècle.

Certes, le risque majeur de crues a constitué l’un des aspects marquants de la vie à Grenoble jusqu’à l’époque moderne. Mais il semble que la région grenobloise ait bénéficié à l’époque gallo-romaine d’une période hydrologique plus calme et que les implantations humaines aient été peu impactées par les inondations.

Un carrefour de routes

Cularo se situe également à un important carrefour de routes, sur l’axe marchand de Vienne à Milan par les cols du Lautaret et du Montgenèvre, bien identifié par la table de Peutinger*. Il est relié à Genève par la vallée du Graisivaudan, au sud de la Gaule par la vallée du Drac, le col de la Croix-Haute et le col Bayard, au nord de l’Italie par les vallées de la Tarentaise et de la Maurienne. Jusqu’au IIIe siècle, Cularo est un bourg secondaire, un vicus, qui dépend de Vienne, capitale de la cité des Allobroges. Malgré une taille relativement modeste (15 hectares), il jouit néanmoins d’une certaine importance. Cularo est en effet le siège d’une préfecture territoriale à vocation fiscale, le pagus atius, et le centre de perception d’un impôt dénommé Quarantième des Gaules, correspondant à une taxe de 2,5 % de la valeur des marchandises.

Le grand nombre de stèles et d’inscriptions retrouvées, 99 au total, fournit « des renseignements non négligeables sur la vie religieuse, l’administration et la partie de la population qui avait l’envie et les moyens de faire graver des inscriptions ». Les textes épigraphiques donnent les noms de 144 Grenoblois (52 femmes et 92 hommes) qui ont vécu entre le début du Ier et le milieu du IIIe siècle. Il apparaît que « Cularo était la patrie de nombreux notables qui ont fait carrière à Vienne ou ont servi l’Empire et étaient largement romanisés ».

« Sa croissance humaine et économique paraît avoir été continue pendant tout le Haut-Empire, puisqu’elle a été choisie dans les dernières années du IIIe siècle comme capitale de cité par Dioclétien, ainsi que l’attestent la construction et la dédicace de remparts très soignés. Dans le cadre de sa réorganisation administrative du monde romain, l’empereur a divisé le très vaste territoire de Vienne en trois cités : Vienne, Grenoble et sans doute Genève ». Devenu chef-lieu de cité, Cularo se doit d’être entouré d’une enceinte digne de ce nom, autant sur le plan défensif – incursions des Allamans dans la région vers 275 – que du prestige, pour marquer le nouveau statut administratif de la cité. Le texte de dédicace gravé au-dessus des deux portes de la ville, dédiées à Jupiter et à Hercule, atteste que ces remparts sont commencés et achevés sous les règnes conjoints de Dioclétien et Maximien, ce qui permet de dater leur édification entre 286 et 293. Grenoble a conservé jusqu’à nos jours de multiples vestiges de cette enceinte, dont le tracé, connu avec une relative précision, a marqué la physionomie de la ville pendant plus de treize siècles. Il s’agit du plus ancien monument de la ville conservé aujourd’hui.

Jusqu’alors ville de garnison occasionnelle, Grenoble devient au IVe siècle le lieu de résidence permanent d’une cohorte d’environ cinq cents fantassins, dénommée Prima Flavia Sabaudica. Cette installation militaire, vraisemblablement décidée par l’empereur Constantin, fait référence à la Sabaudia, nom antique de la Savoie. Hormis des missions purement militaires, cette cohorte assure le maintien de l’ordre dans la ville, la sécurité de la station de perception du Quarantième des Gaules et la garde des fortifications.

La création d’un évêché

À la fin du 4e siècle, deux événements pratiquement concomitants sont déterminants. D’une part, le chef-lieu de cité devient le siège d’un évêché – depuis au moins 381, date où Domnin est attesté comme évêque de Grenoble dans les actes du concile* d’Aquilée. D’autre part, en 379, Cularo change de nom et devient Gratianopolis, nom grec qui signifie « ville de Gratien ». Même s’il n’est pas exclu que la fondation du siège épiscopal ait été plus précoce, il est possible que la création du diocèse soit une demande de l’empereur Gratien. Cette promotion, très appréciée par les autorités municipales, les aurait alors conduites à remercier l’empereur en donnant son nom à la ville.

Une empreinte chrétienne forte et durable

Le premier complexe épiscopal comprend des édifices de culte et de résidence pour le clergé. Il est établi à la fin du IVe et au début du Ve siècle par l’évêque à proximité immédiate des remparts et de l’une de ses portes principales, la porte Viennoise. Cette localisation se retrouve dans de nombreuses autres villes de la Gaule. Le système d’église double des premiers temps chrétiens, avec la cathédrale primitive et le bâtiment accueillant les catéchumènes*, s’est maintenu jusqu’à notre époque, avec la présence de la cathédrale Notre-Dame et de l’église Saint-Hugues voisine, toutes deux réédifiées aux XIIe et XIIIe siècles. Parmi les bâtiments d’origine, seul le baptistère est en partie parvenu jusqu'à nous. Il est mis en valeur au sous-sol du musée de l’Ancien Évêché.

Autour de la nécropole Saint-Laurent

La rive droite de l’Isère accueille très tôt plusieurs sites de nécropoles qui s’échelonnent le long de l’axe Vienne-Grenoble-Chambéry, et dont certains seront utilisés jusqu’au Haut Moyen Âge. C’est autour de l’actuelle église Saint-Laurent que se développe le cimetière le plus considérable, qui existait peut-être déjà sous le Haut Empire. Avec le début de l’ère chrétienne, ce cimetière devient le plus important de la ville et c’est peut-être là que sont inhumés les premiers évêques de Grenoble.

Les fouilles menées par Renée Colardelle de 1977 à 1997 à l’intérieur et aux alentours de l’église Saint-Laurent permettent de mieux comprendre comment le site a évolué. La crypte de l’église funéraire, ornée au VIIe siècle d’une voûte et d’une colonnade avec chapiteaux et tailloirs historiés, en est le joyau incontestable : consacrée à saint Oyand, qui vécut au Ve siècle, elle compte parmi les plus anciens édifices chrétiens de France.

Au VIIIe siècle, une vaste église à double chœur remplace les édifices existants, alors que le cimetière de Grenoble est déplacé sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame, au cœur de la ville. En 1016, les moines bénédictins de Saint-Chaffre-en-Velay s’installent à Saint-Laurent sur l’invitation de l’évêque. Ils fondent un prieuré et reconstruisent vers 1150 l’église qui est parvenue jusqu’à nos jours. Pendant le Haut Moyen Âge, l’évêque de Grenoble est le seigneur de la ville et porte le titre de Prince de Grenoble.

Période historique

1ére période : -43 / fin VIIe début VIIIe

Thématique(s)

  • Histoire & Evolution de la ville
  • Ville fortifiée/de garnison/militaire

Bibliographie

- REMY B. et JOSPIN JP. Cularo, Gratianopolis, Grenoble. Lyon : PUL, 2006.

Crédit (auteur)

Vincent de Taillandier, guide conférencier référent équipe guides de l'Office de Tourisme Grenoble-Alpes Métropole, membre du conseil scientifique

Diaporama

Monnaie à l'effigie de Dioclétien (284-305 ap. J.C.).
Fouilles parking Lafayette.
Pastille rempart Cularo.
Peinture murale romaine, place Sainte-Claire.
Ancien Evêché.
Deux monnaies en or fourré (trémisses) de Valentinien III (425-455) ont été retrouvées dans une tombe au niveau de la taille du défunt.
Fragement de métal recouvert d’une pellicule d’or et déocréé d’un chrisme a été retrouvé dans la tombe de Flureia
Musée Archélologique Saint-Laurent.
Cularo, 70 ans avant J.C.
Porte du Pertuis.